Santé Environnement

Principe de précaution, trop ou pas assez?

Lorsqu’on parle du « principe de précaution », c’est avant tout une joute sémantique qui se profile entre ses défenseurs et ses détracteurs. Ceux qui voient en ce principe de précaution, un frein à l’innovation, un frein à la croissance économique, l’érigeront au statut de « précautionnisme », ou poussé à son paroxysme, « il (principe de précaution) laisse entendre que le risque zéro, pourtant impossible, est un horizon à atteindre » [2].

Pour autant le principe de précaution à l‘origine, a été crée pour justement stimuler l’innovation et confronter les points de vue et les expertises sur des sujets, dont leurs effets (bénéfiques ou délétères) sont au moment des discussions inconnus. Ainsi le principe de précaution est un « principe d’évaluation et d’arraisonnement de l’incertitude » [6]. Ce contre-argument que le principe de précaution n’inhibe pas l’innovation, bien au contraire, la promeut, est partagé par les autres intervenants. En effet la recherche de nouveaux procédés technologiques ou la mise en oeuvre d’actions, ayant des impacts environnementaux et sanitaires aussi faibles qu’il est possible en l’état actuel des connaissances, est une source perpétuelle d’innovation.

Alors que le principe de précaution bénéficie d’une définition précise, les donneurs d’alertes se voient souffrir du syndrome de  « Cassandre », quand leurs opposants leur reprochent leur inertie, voire leurs oppositions systématiques face aux nouvelles (bio)technologies. Le principe de précaution n’est pas « un principe d’abstention » [6]. En plus seuls quatre cas de « faux positifs » ont été recensés au cours du 20ième siècle par l’Agence Européenne pour l’Environnement, et identifiés dans son rapport « Late lessons from early warnings ». Les « faux positifs » sont les situations où le principe de précaution a été mis en œuvre, causant au final plus d’effets négatifs que positifs pour la société civile. L’un des quatre cas, est la grippe porcine de 1976 aux Etats-Unis. Traumatisées par la grippe espagnole et ses millions de morts après la première guerre mondiale, les autorités sanitaires américaines ont eu peur d’une épidémie majeure et ont largement surestimé les effets sanitaires de la souche en cause. Or la vaccination systématique de la population a entraîné de nombreux décès, ainsi que des effets secondaires irréversibles (troubles neurologiques) pour une partie des vaccinés.

Le principe de précaution est indirectement reconnu par l’Organisation Mondial du Commerce, via l’article 5, paragraphe 7, qui laisse aux états la liberté, lorsque « les preuves scientifiques pertinentes  sont insuffisantes, d’adopter des mesures sanitaires ou phytosanitaires sur les bases des renseignements pertinents disponibles (…)». L’embargo sur la viande bovine traitée aux hormones de croissance aux Etats Unis en est un exemple. Les entreprises et autres groupes industriels ne sont pas en reste, à travers les démarches de développement durable ou via la responsabilité sociétale des entreprises (RES). Cette dernière est plus astreignante, car clairement définie par la norme internationale ISO 26000. Elle instaure le principe de redevabilité « les entreprises utilisent les biens communs de l’humanité, elles existent grâce aux sociétés, et donc elles ont un devoir envers elles » [4]. Cependant ces initiatives sont assimilées par le grand public comme du marketing, du placement d’image.

Ainsi le défi lié au principe de précaution, n’est pas de savoir s’il est opportun, pertinent ou justifié de le mettre en application, mais de savoir comment le grand public, la société va réceptionner ce principe de précaution. Théoriquement le principe de précaution, bâti sur un ensemble d’expertises et de contre-expertises, doté d’un intervalle de confiance, d’un seuil risque, qu’il soit mis en place ou non, devrait être accepté et compris par la population (la population aurait confiance en ses experts); en réalité le principe de précaution est très largement influencé par les représentations sociales et politiques, il renvoie à des peurs irrationnelles. Cette défiance est liée à une succession de scandales, que ce soit des scandales sanitaires (amiante, sang contaminé…) ou des fraudes sans conséquence sanitaire (crise de la viande de cheval dans les lasagnes), qui ont entamé la confiance de la population en ses instances publiques et dans les groupes industriels.

Pour pallier ce manque de confiance, le choix de ses interlocuteurs pour délivrer les messages de prévention est essentiel, et l’opinion des activistes, des militants doit être pris en considération [5]. En plus, donner l’accès aux informations, mêmes les plus sensibles est gage de transparence, et la transparence est gage de confiance. Ainsi la gestion du risque se traduit par la gestion du capital confiance, sans mépris (envers les « non sachants ») [3].

Enfin, alors que les débats se poursuivent entre abolir le principe de précaution ou le transformer en principe d’attention, il est impératif d’engager le dialogue avec la société civile pour qu’elle soit assurée que les mesures prises, sont en sa faveur et desservent exclusivement ses intérêts et non les intérêts financiers et commerciaux de lobbyistes…  

 

Sources

[1] Anses, SciencesPo Chaire Développement durable, “Risques sanitaires, précaution et innovation”, colloque du 24 juin 2015

[2] Bronner G, Pr de Sociologie à l’Université de Strasbourg, définition du « précautionnisme » dans un entretien accordé au journal Libération, 20 avril 2010

[3] Chevassus-au-Louis B, Inspecteur général de l’agriculture, intervention au  colloque du 24 juin 2015 « Risques sanitaires, précaution et innovation », organisé par SciencesPo, Chaire Développement Durable, en partenariat avec l’Anses

[4] Capron M, Professeur émérite de l’Université Paris 8, intervention au  colloque du 24 juin 2015 « Risques sanitaires, précaution et innovation », organisé par SciencesPo, Chaire Développement Durable, en partenariat avec l’Anses

[5] Craig C, Director Government Office for Science (UK), intervention au  colloque du 24 juin 2015 « Risques sanitaires, précaution et innovation », organisé par SciencesPo, Chaire Développement Durable, en partenariat avec l’Anses

[6] Trébulle FG, Juriste et Professeur à l‘Université de Paris I Panthéon Sorbonne, intervention au  colloque du 24 juin 2015 « Risques sanitaires, précaution et innovation », organisé par SciencesPo, Chaire Développement Durable, en partenariat avec l’Anses

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