Sujet hautement sensible qu’est le glyphosate. Alors que des centaines de molécules sont accessibles sur le marché des phytosanitaires, il cristallise à lui seul le combat des anti-pesticides.
L’Union Européenne a pris la décision en novembre dernier, de renouveler la licence de l’herbicide pour 5 années supplémentaires.
En parallèle, l’Anses a notifié le retrait des autorisations de 36 produits à base de glyphosate et le refus d’autoriser 4 nouveaux produits. Cette fois la position de l’Anses est motivée par rapport à la possible génotoxicité du glyphosate et non plus à ses effets potentiellement cancérigènes.
La question du glyphosate est un parfait exemple de la complexité de déterminer le danger et de caractériser le risque d’un produit. Pour faire simple, le danger est la toxicité intrinsèque du produit (ex : la fumée de cigarette est dangereuse, car cancérigène) et le risque est la probabilité d’être exposé.e à ce toxique (ex : le risque est minime si la personne est non fumeur et ne subit pas le tabagisme passif).
Ainsi une substance dangereuse ou un danger ne constitue pas forcément un grand risque si vous avez peu de probabilité d’y être exposé.e.
Quelques exemples sont présentés dans l’infographie.
Glyphosate : le danger versus le risque versus la méthodologie
L’évaluation du risque sanitaire (ERS) permet de mesurer ce risque. La méthode a été expliquée dans un précédent article.
Toutefois, il est légitime de se demander, s’il est possible de décorreler le risque du danger.
Pour en revenir au glyphosate, ce qui empêche un consensus scientifique est :
Le danger lui-même,
Dans le débat public, on ne parle quasi-exclusivement que de ses effets cancérigènes, pour lesquels le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer) et l’EFSA (l’Autorité européenne de sécurité des aliments) ne sont pas unanimes. Mais l’Anses, l’agence sanitaire française, s’est intéressée elle, à ses possibles effets génotoxiques et pour lesquels elle a fait retirer du marché plusieurs pesticides.
Par exemple prenons l’alcool, les autorités sanitaires n’auront pas le même jugement si on examine les effets sur les poumons ou les effets sur le foie. A priori, l’alcool n’a pas d’effet délétère sur la capacité pulmonaire par contre il est hépatotoxique (toxique pour le foie).
Le risque,
L’exposition n’est pas la même pour la population générale, qui est exposée à des résidus de glyphosate via l’alimentation principalement, que les agriculteurs, exposés au produit en lui-même.
Même au sein des agriculteurs, l’exposition diffère selon qu’ils respectent ou non les conditions d’utilisation (en l’absence de vent) et qu’ils portent des équipements de protection individuelle (gants, masque, lunette et combinaison).
La méthodologie des études épidémiologiques,
Enfin le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer), l’EFSA (l’Autorité européenne de sécurité des aliments) et toutes les agences de santé se réfèrent à des études de populations, ce sont les études épidémiologiques.
Cependant, ils n’utilisent pas le même type d’études et donc ils n’aboutissent pas aux mêmes conclusions.
Les 3 types d’études épidémiologiques sont détaillées dans un précédent article.
Glyphosate : la position du CIRC, de l’EFSA et des agences sanitaires
Le CIRC – Centre International de Recherche sur le Cancer publie des monographies.
“Les Monographies du CIRC identifient les facteurs environnementaux qui constituent un danger cancérogène pour l’homme (produits chimiques, mélanges complexes, expositions professionnelles, agents physiques et biologiques, et facteurs comportementaux). Les organismes de santé publique utilisent ensuite ces informations comme support scientifique dans leurs actions visant à prévenir l’exposition à ces cancérogènes potentiels (source CIRC).”
Ainsi le CIRC ne prend pas en compte la notion de risque, seulement de danger, et il ne s’intéresse qu’à un seul effet sanitaire : le cancer.
L’EFSA et les agences nationales sanitaires s’intéressent au risque.
Outres le fait que le CIRC et l’EFSA ne se réfèrent pas aux mêmes études épidémiologiques, l’EFSA intègre les études réalisées par les industriels eux-mêmes. Ce qui pour beaucoup discrédite le message de l’agence sanitaire européenne.
Enfin le cancer n’est pas le seul possible effet du glyphosate. Il est suspecté de perturber le système hormonal (perturbateur endocrinien), d’être reprotoxique (toxique pour la reproduction) et d’être génotoxique (provoque des modifications délétères du génôme), d’où la volonté de l’interdire.
La France est-elle le seul pays à vouloir interdire le glyphosate ?
D’après le vote pour le renouvellement de la licence d’exploitation du glyphosate au sein de l’Union Européenne : 9 pays ont voté contre, dont la France, aux côtés de l’Autriche, la Belgique, la Croatie, Chypre, Grèce, Italie, Luxembourg et Malte; 18 pays ont voté pour et 1 pays s’est abstenu [6].
Sur les 28 pays membres, les deux tiers ont voté pour le renouvellement de la licence d’utilisation de glyphosate, dont les pays Scandinaves souvent cités comme modèle de prévention en santé.
Et les autres, hors UE, quelle est leur position ?
À la suite de la publication du CIRC, de nombreux pays ont mené leur propre expertise :
Australie – Australian Pesticides and Veterinary Medicines Authority
Septembre 2019 – “The current assessment by the APVMA is that products containing glyphosate are safe to use according to the label instructions.”
Leur conclusion : « l’usage de glyphosate selon les conditions d’utilisation est sans danger ».
Nouvelle Zélande – New Zealand Environmental Protection Authority
Novembre 2019 – “MPI’s view is that the IARC data does not indicate any credible risk to users of glyphosate (for example, farmers, home gardeners), or to consumers of produce with residues of glyphosate that comply with the New Zealand maximum residue levels.”
Selon les autorités néo-zélandaises, le CIRC n’a pas démontré un risque crédible pour les utilisateurs de glyphosate (agriculteurs et jardiniers), ni pour les consommateurs, en tenant compte des résidus de glyphosate présents dans la nourriture aux niveaux autorisés.
Canada – Pest Management Regulatory Agency
Avril 2017 – “The overall finding from the re-examination of glyphosate is highlighted as follows:
- Glyphosate is not genotoxic and is unlikely to pose a human cancer risk.
- Dietary (food and drinking water) exposure associated with the use of glyphosate is not expected to pose a risk of concern to human health.
- Occupational and residential risks associated with the use of glyphosate are not of concern, provided that updated label instructions are followed.
- The environmental assessment concluded that spray buffer zones are necessary to mitigate potential risks to non-target species (for example, vegetation near treated areas, aquatic invertebrates and fish) from spray drift.
- When used according to revised label directions, glyphosate products are not expected to pose risks of concern to the environment.”
Le Canada a évalué que le glyphosate n’était pas génotoxique et qu’il était peu probable qu’il pose un risque de cancer pour la population. L’exposition via l’alimentation (eau incluse) ne semble pas poser de problème concernant un potentiel risque de cancer.
Etats-Unis – United States Environmental Protection Agency
Décembre 2017 – “The draft human health risk assessment concludes that glyphosate is not likely to be carcinogenic to humans. The Agency’s assessment found no other meaningful risks to human health when the product is used according to the pesticide label. The Agency’s scientific findings are consistent with the conclusions of science reviews by a number of other countries as well as the 2017 National Institute of Health Agricultural Health Survey.”
Même conclusion que les autres pays, le glyphosate est jugé peu probable d’être cancérigène pour les humains quand le produit est utilisé dans le respect des conditions d’usage.
Conclusion
Au final ni le CIRC ni l’EFSA n’a raison. Les deux organismes jugent le glyphosate différemment : selon le danger ou selon le risque.
Personnellement je pense que c’est une erreur d’interdire le glyphosate, sans repenser l’agriculture conventionnelle, car le plus probable est qu’il sera substitué par un autre pesticide dès son interdiction.
J’avais déjà fait part de mon avis dans l’article “Pesticides en agriculture, l’interdiction du glyphosate n’est qu’une (petite) partie de la solution.”
Bibliographie :
Andreotti G. Glyphosate use and cancer incidence in the Agricultural Health Study, J Nat Cancer Inst, 2018, 110 : 509-516
De Roos AJ. Cancer incidence among glyphosate-exposed pesticide applicators in the Agricultural Health Study, Environ Health Persp, 2005, 113 : 49-54.
De Roos AJ et al. Integrative assessment of multiple pesticides as risk factors for non-Hodgkin’s lymphoma among men. Occup Environ Med 2003;60:E11.
Portier CJ et al. Differences in the carcinogenic evaluation of glyphosate between the
International Agency for Research on Cancer (IARC) and the European Food Safety Authority (EFSA), J Epidemiol Community Health, 2016, vol 70, no 8
Site web :
Conclusion de l’Anses sur le glyphosate
Interdiction du Roundup en libre-service
Vote pour le renouvellement de la licence d’exploitation du glyphosate dans l’espace de l’Union Européenne : Le Point, Le Figaro, Les Echos
Australian Pesticides and Veterinary Medicines Authority